9. Promouvoir une société de la connaissance ouverte en Europe et au plan international

Les principes d’ouverture et d’interopérabilité des ressources technologiques et des contenus constituent un élément crucial de l’architecture de l’internet. Cette interopérabilité, loin de n’être qu’un aspect « technique », devient l’une des conditions essentielles du développement des réseaux dans nos sociétés. Il faudra qu’au niveau de l’ensemble des « couches » qui constituent l’architecture de l’internet, des normes internationales soient mises en place pour garantir l’interopérabilité des réseaux tant sur le plan des infrastructures et des services que sur celui des contenus.

L'Europe a dans ce domaine montré le chemin en inscrivant dans ses principes fondamentaux de la gouvernance les trois principes essentiels de l'architecture de l’internet que sont l'interopérabilité, l'ouverture et la préservation du principe de neutralité de l’internet.

1. Mettre en place une gouvernance démocratique, multilatérale et transparente de l’internet

La reconnaissance de l’internet comme un bien commun mondial impose la mise en place d'une gouvernance internationale, notamment pour les ressources qui y restent rares ou soumises à des arbitrages comme les noms de domaines et adresses internet correspondantes.
De surcroît, il convient d’envisager les mutations de l’internet et les conséquences qu’elles auront sur la gouvernance du réseau. Ainsi, la mise en place de l’internet des objets passera désormais par une technologie dérivée l’Object Naming Service (ou ONS) qui elle aussi est actuellement contrôlée par les autorités américaines. Nous devrons veiller à ce que le contrôle de ce nouvel Internet qui ira bien au-delà du milliard d’utilisateurs actuels ne soit « unilatéral ».
A mesure que les enjeux politiques, économiques et culturels Il n'est plus pensable que le contrôle de ces ressources soit confié à un pays (les Etats-Unis) ou à un acteur privé (l’ICANN). Il ne serait pas souhaitable, pour autant, de le confier à un organisme international technique ou à une organisation intergouvernementale classique. En effet, des arbitrages complexes entre acteurs sociétaux, acteurs économiques et Etats sont nécessaires lorsqu’il est question de l’internet. Les problèmes aigus de libertés sur internet dans des pays comme la Chine, la Tunisie ou la Syrie illustrent l'impossibilité de confier la gestion aux seuls états. Mais les dangers d'un abus de pouvoir sur le marché ou abus d'appropriation font également redouter une emprise excessive d'acteurs privés. Quant aux acteurs associatifs, ils n'ont pas forcément les mêmes priorités entre eux.
La question de la gouvernance de l’internet a fait l’objet d’un processus original de gouvernance internationale : l’internet Gouvernance Forum (dont la première réunion a eu lieu à Athènes en octobre 2006) dont la mission est d’installer un dialogue permanent entre tous ces acteurs.
Afin de promouvoir la mise en place d’une gouvernance multilatérale, transparente et démocratique de l’internet, une structure de coopération assurant la supervision des ressources critiques du réseau devra être mise en place. Cette structure rapide et flexible devra veiller à la sécurité, à la stabilité et la souveraineté des ressources relevant des pays. Elle devra aussi veiller à l’interopérabilité, l’ouverture et l’unicité du réseau ainsi qu’au développement du multilinguisme. En raison du caractère crucial de l’internet pour la diffusion des innovations technologiques et culturelles ainsi que pour la diffusion des idées, une part prépondérante devra y être accordée à la représentation des pays démocratiques.
Recommandation 78: Poursuivre les efforts pour la mise en place de la structure de coopération renforcée multilatérale qui avait été décidée lors du Sommet des Nations Unies sur la Société de l’Information.
Recommandation 79: Amplifier le soutien à la participation associative des acteurs francophones dans les forums de gouvernance internationale liés à l’internet et à l'évolution du cadre juridique international des échanges et de l'innovation numériques.

2. Agir en amont sur les cadres juridiques internationaux qui façonnent la société de la connaissance

Une prise de conscience s'est développée ces dernières années pour agir en amont sur les cadres juridiques internationaux afin de s’assurer qu'ils servent le bien public.
Diverses crises (brevetabilité des logiciels, protection juridique des mesures techniques contre le contournement dans différents domaines) ont fait prendre conscience que les institutions en charge de ces dossiers avaient pour partie oublié leur mission en tant que composantes d'une gouvernance internationale et tendaient à ne servir que des groupes d'intérêts issus de quelques pays développés dans le cadre d'une vision étroite de leur mission.
L'action d'un ensemble de pays du Sud et de nombreuses ONG a promu l'idée d'une réforme des agences (notamment l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle) ou de leurs politiques . Ces efforts se sont structurés autour de propositions concrètes : agenda pour le développement proposé pour l'OMPI, déclaration de Genève sur le futur de l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle, proposition de traité sur l'accès aux connaissances, résolution adoptée par son assemblée générale).
Or la France et plus généralement la francophonie sont restées relativement à l'écart de ces propositions. Exception notable : l'adoption de la convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles à l'UNESCO a fait la preuve que lorsque l'exigence d'une action publique pour la culture et celle d'un accès universel aux connaissances se combinaient et qu’il était possible d'obtenir des résultats significatifs et inespérés dans les enceintes internationales.
Le Sommet Mondial pour la Société de l'Information (Genève puis Tunis) a également été l'occasion d'une mobilisation importante du monde associatif partiellement relayée par les états. La demande d'une approche plus ouverte des questions de régimes de propriété ou d'accès aux connaissances s'y est cependant heurtée à une fin de non-recevoir.
Recommandation 80: Faire de l'élaboration d'une position européenne en faveur de l'accès aux connaissances une des priorités de la présidence française de l'Union européenne en 2008. Cette position porterait sur l'évolution du cadre européen comme sur les positions défendues par la Présidence dans les agences de l'ONU.

3. Prendre sa part de la solidarité numérique internationale

Dans les domaines de l’aide au développement et de la société de l’information, l’une des questions les plus importantes est celle de la « fracture numérique » qui met en évidence les inégalités d’accès à la connaissance entre les pays du Nord et ceux du Sud.
A l’échelle mondiale, cette fracture numérique, qui porte non seulement sur les réseaux et les équipements, mais également sur le contenu des informations échangées et les langues utilisées, peut se mesurer de façon précise : plus de 75 % des utilisateurs d’Internet sont ainsi concentrés dans des zones regroupant moins de 15 % de la population mondiale. En d’autres termes, plus de 80 % des êtres humains n’ont pas, aujourd’hui, accès aux technologies modernes d’information et de communication.
Diverses coopérations internationales ont vu le jour afin de s’attaquer résolument à ce problème. Le Fonds mondial pour la solidarité numérique réunit des Etats (dont la France), des collectivités locales et l’Agence intergouvernementale de la francophonie autour d’une ambition commune : réduire la fracture numérique.
Or, en ce domaine, les collectivités territoriales françaises ont incontestablement un rôle à jouer, tant par leurs compétences techniques que par le développement continu de leurs actions d’aide au développement ou de solidarité internationale.
Face à l’urgence et à la gravité des défis soulevés par la fracture numérique, le moment est donc venu d’encourager toutes les initiatives engagées (ou susceptibles d’être engagées) à ce sujet.
Recommandation 81: Donner une base légale aux actions de coopération décentralisée ou de solidarité internationale menées par les collectivités territoriales et leurs groupements dans le domaine des technologies de l’information et des communications, au service du développement
Recommandation 82: Étudier la mise en place d’un dispositif pérenne de financement du fonds de solidarité numérique.

4. Politiques européennes : préparer un Lisbonne 2.0

Recherche et innovation
La politique de recherche-développement européenne, que ce soit à travers le programme-cadre de RDT ou à travers les coopérations intergouvernementales d'Eurêka, constitue un levier fondamental pour construire une approche stratégique du numérique et d'internet. Les contributions françaises à l'élaboration de ces politiques ne sont pas effectuées jusqu'à présent dans des modalités qui sont à la hauteur de ces enjeux .
A quelques exceptions importantes près (microélectronique par exemple), elles sont le plus souvent réactives (aux propositions de la Commission ou des consortiums dans le cadre d'Eureka) et relayent les préoccupations de quelques grands acteurs industriels ou instituts de recherche, ce qui est bien sûr important, mais aboutit à des demandes ponctuelles sans construction d'une stratégie et effort de conviction à l'égard de nos partenaires.
L'ambition d'un développement économique et culturel sur la base d'une société de la connaissance ouverte doit servir de fédérateur à une attitude plus proactive et plus ouverte à nos partenaires.
Le domaine des technologies numériques s'est pour l'instant caractérisé par un grand conservatisme des objectifs de recherche, d'autant plus paradoxal que ceux-ci sont souvent définis par rapport à des préoccupations de court terme.
Il faudra à la fois renforcer les actions de recherche de base et ouvrir à de nouvelles formes de visée d'applications les recherches motivées par des fonctionnalités.
Recommandation 83: Proposer un plan européen pour la société de la connaissance ouverte pour la période succédant à l'initiative i2010.
Recommandation 84: Organiser les consultations et débats préalables sur les grandes orientations des propositions françaises (débats parlementaires, mais aussi consultations publiques et débats multi-acteurs).
Recommandation 85: Relever la visibilité des acteurs en charge de ces dossiers dans les ministères et agences compétentes et leur coordination accrue.
Recommandation 86: Prendre des positions publiques sur les choix concernant les régimes de diffusion des résultats, qu'il s'agisse des publications scientifiques (mandat de l'accès libre) ou de la diffusion des résultats logiciels des actions recevant des financements publics (régime par défaut de la diffusion libre avec des exceptions dûment justifiées). De la même façon les positions concernant les modes de financement (calcul des coûts éligibles) doivent être débattues publiquement. Ces modes de financement ont un impact important sur le type de travaux conduits et la participation possible des PME.
Recommandation 87: Modifier les modes de financement de R&D pour les PME : ceux-ci n'ont de sens que s'ils s'effectuent selon des modalités très simplifiées sur le plan administratif et donnent lieu à une gestion déléguée (par exemple à des agences régionales).
Recommandation 88: Mettre en place une coordination spécifique pour les fonds très importants qui existent au titre des fonds structurels européens dans le domaine de l'innovation et des technologies numériques, qui ont donné lieu à des actions intéressantes, mais sans qu'elles aient l'ambition de celles conduites au Royaume-Uni ou en Grèce par exemple.

5. Infléchir la coordination des administrations européennes dans le sens de l’ouverture

Certains programmes européens modestes dans leur budget ont joué ces dernières années un rôle important dans la coordination des actions des états-membres.
Il en ainsi du programme IDA-BC pour la coordination et l'interopérabilité des administrations européennes qui a su construire une véritable communauté de pratique chez les acteurs opérationnels de modernisation des services publics. Au-delà de développements plus classiques, les référentiels d'interopérabilité, des définitions exigeantes des normes ouvertes et la promotion de l'usage des logiciels libres et de la mutualisation des développements dans les administrations européennes doivent beaucoup à ces actions, qui ont eu une bonne continuité au-delà des changements politiques.
Recommandation 89: Renforcer la participation de la France au programme IDA-BC
Recommandation 90: Prendre position clairement pour que la définition des formats ouverts produite par IDABC soit retenue comme base commune au niveau national.

6. Numériser, enrichir et diversifier les patrimoines culturels européens

La France a traditionnellement porté au niveau européen l'exigence de programmes soutenant la production et la diffusion de contenus innovants et de qualité et celles des applications liées au patrimoine culturel.
Ces programmes jouent un rôle important dans la promotion d'une European touch en matière culturelle (Media, e-content+), mais sont loin d'être à l'échelle des besoins. Il est très positif que ces programmes se soient récemment ouverts à des médias et modes de diffusion nouveaux, y compris ceux où une synergie est organisée entre la diffusion en biens communs volontaires (Creative Commons et licences similaires) des contenus informationnels et des produits et services commerciaux.
Recommandation 91: Maintenir et accroître les engagements dans ces programmes, en diversifiant les médias cibles (y compris pour l'innovation dans les médias collaboratifs ou les jeux en ligne) et en encourageant l'expérimentation de nouvelles formes de diffusion.
Recommandation 92: Défendre des actions de diffusion en accès libre des contenus culturels européens, en synergie avec la bibliothèque européenne et une vision ouverte de l'accessibilité et de la réutilisabilité des contenus issus du secteur public, mais aussi en soutien aux initiatives sociétales visant les mêmes objectifs.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire