Introduction : libertés et capacités numériques

Lorsque leur développement s’effectue dans un cadre démocratique et ouvert, les technologies numériques et internet ouvrent un extraordinaire espace de libertés : libertés de s’exprimer, de créer, d’accéder à l’information et aux œuvres, mais aussi d’innover à faible coût d’entrée.

A partir du moment où existent certaines architectures techniques et que les savoir-faire nécessaires pour en faire un usage pertinent sont largement diffusés, ces libertés deviennent constitutives, comme le dit Amartya Sen, de capacités. C’est aussi la « puissance d’agir » dont parle Michel Serres[2].
Internet et le numérique augmentent les capacités d’expression et d’action des individus et des groupes. Et démultiplient leur rayon d’action. 

Ces capacités permettent à chacun et chacune de faire entendre sa voix. 
D’échanger avec d’autres et de coopérer. 
D’entreprendre. 
D’atteindre un public ou des marchés. 
D’entrer en contact avec un grand nombre de personnes, sur un territoire ou dispersées dans le monde. D’opérer sur une base géographique étendue. 
D’agir comme consommateur responsable et comme citoyen.

Jamais autant d’informations, de connaissances et de création n’ont été accessibles à un aussi grand nombre d’individus. Plus important encore, jamais autant de personnes n’ont été en mesure d’exprimer leurs opinions sur les affaires du monde, mais aussi de rendre leurs productions accessibles et réutilisables et ainsi d’en créer de nouvelles. Des millions de français et de françaises s’expriment par les blogs, partagent des photographies et d’autres créations. Des encyclopédies libres produites par tout un chacun, comme Wikipedia, sont devenues l’une des sources essentielles d’information de référence. Comme toute source d’information, elles doivent toujours être corrigées et approfondies, mais elles sont justement améliorées en permanence par ceux qui y contribuent.

L’immense transformation introduite par l’informatique, le numérique et les réseaux est l’une des seules perspectives technologiques qui fasse l’objet d’une adhésion collective de la jeunesse. Elle renouvelle la capacité d’action de l’État et des collectivités publiques et les place dans de nouvelles relations avec les citoyens et usagers des services publics.

Et pourtant, nous venons de traverser cinq années pendant lesquelles les politiques conduites par le gouvernement ont traité internet et le numérique comme des menaces et non comme une chance.
Il faut changer ce regard, reconnaître le présent et prendre le parti des possibles. Le développement de l’internet et du numérique ouvre la perspective d’une société de la connaissance ouverte. En même temps, cette possibilité n’est en rien une certitude. Le numérique n’est ni bon, ni mauvais en soi : il sera ce que nous saurons, collectivement, en faire.

De nombreux facteurs peuvent en entraver l’avènement. Les pressions seront fortes et les occasions nombreuses pour limiter ces libertés et les capacités données aux citoyens. De puissants groupes d’intérêt, certaines forces au sein des États, et en particulier les dictatures, n’auront de cesse de revenir sur ces libertés et ces capacités nouvelles.

Les bénéfices qu’en tireront les sociétés dépendent pour beaucoup de la maîtrise qu’en auront les citoyens et de la pertinence des politiques qui seront conduites.

La France est sur ce plan à la croisée des chemins. Bénéficiant d’une éducation publique de qualité, ayant les atouts de l’esprit de coopération « collaborative » - caractéristique d’internet avec plusieurs millions de blogueurs - et étant l’un des premiers contributeurs aux logiciels et aux œuvres libres, la France peut être aux premiers rangs de la construction des sociétés de la connaissance.

Les nouveaux intermédiaires (comme Google) qui servent ces capacités et hébergent des créations devenues innombrables détiennent un pouvoir sans précédent. L'Europe n’est représentée que par un tissu de petites sociétés innovantes qui pourraient cependant grandir si elles étaient rejointes par quelques grands acteurs et disposaient d'un environnement juridique plus ouvert.
Les technologies numériques sont un vecteur de croissance essentiel : la croissance du secteur des technologies numériques est le double de celle du reste de l’économie. Notre appareil statistique sous-estime largement la contribution au PIB des activités liées aux technologies numériques. Il se situe autour de 10%. On « produit » des logiciels, des outils numériques et des services Internet, dans bien d’autres secteurs que dans le secteur des TIC au sens des conventions statistiques internationales, (télécommunications, électronique et informatique).

Le potentiel de développement économique ouvert par l’internet et le numérique ne s’arrête pas à cette fourniture de moyens aux échanges non commerciaux. Les acteurs de ce développement seront aussi actifs sur les marchés classiques des biens et des services tout comme ils serviront la société de la connaissance ouverte.

Une fois les possibles reconnus, les défis commenceront : les bénéfices d’une société de la connaissance ouverte ne se développeront pleinement que si on investit dans ses bases éducatives, sociales et économiques.






[2] - La notion de « capacités » est empruntée à Amartya Sen (Repenser l’inégalité, éditions du Seuil, 2000) : la possibilité concrète pour les individus de conduire des activités et d’obtenir des résultats.

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