7. Des outils numériques pour la democratie

Le désordre démocratique résulte d’une double crise de l’action publique : une crise des résultats et une crise des processus de décision.

La crédibilité de l’action politique exige de tirer les conséquences de ce qui a changé : des citoyens plus informés, plus autonomes, à la fois plus méfiants et plus exigeants. L’efficacité de l’action publique repose désormais sur sa capacité à se doter d’une capacité à corriger davantage le tir chemin faisant. Cela suppose d’en évaluer les effets en temps réel et d’associer les citoyens en amont (décision) et en aval (suivi, évaluation).

Les pratiques (très largement perfectibles) de la "démocratie électronique" suggèrent toute une série de pistes pour mieux impliquer les citoyens dans la vie publique, voire d’inventer de nouvelles manières de gouverner.

Le premier apport d’Internet et des technologies numériques à la démocratie réside dans la capacité nouvelle qu’acquièrent les citoyens de faire entendre leur voix.


L’internet fait chuter le coût de l'expression politique. Un individu, un collectif, sont en mesure de créer un blog ou une liste de diffusion et se frayer ainsi, à moindres frais, une place dans l'espace public, à côté des médias et des partis. Internet favorise ainsi les formes non conventionnelles et peu coûteuses de mobilisation, le fonctionnement de collectifs ou l’émergence de communautés civiques autour d'un thème ou d'une cause.

La capacité qu’acquièrent les citoyens et les collectifs d’accéder à l’espace public réduit ainsi le rôle central des médias de masse dans l'organisation du débat public. Les citoyens y puisent une information “à la source”. C'est une opportunité majeure pour les formations politiques et les mouvements d’opinion qui peuvent ainsi restaurer un dialogue direct avec les citoyens.

Ce sont d’ailleurs ces capacités nouvelles d’expression et de mobilisation de la société civile qui poussent à l’invention de nouveaux modes de démocratie participative ou délibérative.

L’internet doit donc, d’abord, être le moyen par lequel s'organise la transparence de l'action publique.

On peut ensuite, utiliser les technologies numériques et internet comme :
• un canal permanent de dialogue et d’interpellation entre les citoyens et les élus.
• un moyen d'impliquer les citoyens dans la décision publique et l’évaluation de l’action publique.
• un moyen de mieux intégrer les pétitions dans le processus législatif.
• un outil de modernisation des processus électoraux.

1. Garantir la transparence de l’action publique

La démocratie ce sont d’abord des citoyens informés, en situation de suivre les délibérations des assemblées, d’exercer un contrôle sur les décisions et les actes des collectivités publiques. Internet est le principal moyen par lequel s'organisent aujourd’hui la transparence de l'action publique et l'accès aux informations administratives.

Recommandation 56
Toute production administrative, toute délibération de nature publique doit automatiquement et rapidement être mise en ligne et facilement accessible. L’obligation de diffusion gratuite des données publiques essentielles devrait être inscrite dans la loi. Elle pourrait être étendue aux collectivités territoriales.



2. Moderniser les opérations électorales, sans basculer vers le vote électronique

Utiliser l’informatique pour améliorer la participation électorale

L’un des arguments invoqués en faveur du vote électronique est l’augmentation de la participation électorale. Cela n’a jamais été démontré. L’informatique peut, en revanche, contribuer, et très efficacement, à l’amélioration de la participation. De deux manières.

D’abord en simplifiant l’inscription sur les listes pour remettre dans le circuit électoral un certain nombre de publics qui s’en tiennent à l'écart, notamment en raison des lourdeurs des procédures. Le gouvernement Jospin avait à juste titre décidé l'inscription automatique des jeunes atteignant 18 ans sur les listes, mais, depuis, le système d’inscription automatique ne fonctionnerait qu’à 85%. Actuellement, plus de 2 millions de Français, en âge de voter, ne sont pas inscrits. D’après une étude récente, ce seraient au total près de 5,1 millions de Français qui, aujourd’hui, ne sont pas inscrits, notamment du fait des radiations pour cause de déménagement .

Ensuite, en permettant à des citoyens, en déplacement professionnel ou en vacances, de voter dans un bureau de vote autre que celui ou ils sont inscrits Cela suppose que les bureaux de vote puissent vérifier l’inscription de la personne dans le corps électoral (ce qui implique, en amont, un fichier des électeurs a jour).

Recommandation 57
Utiliser l’informatique pour améliorer l’inscription sur les listes électorales


L’utilité et la fiabilité du vote électronique restent à démontrer

D’expérimentations en décrets, un processus rampant d’instauration du vote électronique pour les élections politiques semble amorcé en France. Selon la CNIL, "Aucun des systèmes de vote connus de la CNIL ne prévoit de produire des éléments de preuve en cas de contentieux électoral. Le vote manuel a comme principale qualité sa grande simplicité (symbolisée par l’urne transparente) permettant à l’électeur, s’il le souhaite, à tout moment de vérifier facilement la régularité du déroulement d’un scrutin. Force est de constater qu’il n’en est pas de même pour les systèmes de vote électronique »

L'opacité et la technicité du système rendent impossible son contrôle par les assesseurs et les électeurs présents dans le bureau de vote. En France, si le Parlement a modifié, en 1969, le code électoral pour autoriser l’utilisation de machines à voter purement mécaniques au sein des bureaux de vote, il n’a plus eu, depuis, l’occasion d’en débattre. Dans cette matière comme dans les autres, le développement des innovations techniques est en avance sur le débat public.

Les objectifs de modernisation, de réduction des coûts ou de lutte contre l’abstentionnisme, ne peuvent justifier une telle précipitation. L’utilité de tels systèmes reste à démontrer.




Recommandation 58
Suivant l'exemple de l’Italie et de nombreux autres pays ayant suspendu la mise en place du vote électronique, instaurer un moratoire sur le vote électronique pour les élections politiques.
- Une expertise scientifique sera demandée à l’INRIA et au CNRS, en liaison avec l’ensemble des parties prenantes.
- Sur la base de cette expertise et d’un débat public, le principe du vote électronique sera soumis au débat parlementaire.



3. Prendre en compte les pétitions par Internet

Vous avez proposé dans le Pacte présidentiel l’examen par le Parlement de tout texte ayant reçu plus d'un million de signatures.

La pétition permet aux citoyens de porter à la connaissance des élus leurs doléances. Elle donne une seconde vie à l’une des plus anciennes formes d’expression civique. La disponibilité de logiciels libres et leur incorporation dans de nombreux outils de publication permettent de lancer simplement une pétition.

Le droit de pétition est actuellement limité du fait de la non prise en compte des pétitions électroniques. Le Règlement de l'Assemblée nationale doit être modifié pour introduire cette procédure. Plusieurs Parlements ont instauré la recevabilité des pétitions électroniques. C’est le cas en Ecosse et en Allemagne.

Recommandation 59
Extension du droit de pétition existant (article 4 de l’ordonnance du 17 novembre 1958) aux pétitions électroniques.


4. Moderniser les procédures de consultation

Vous avez proposé dans le pacte présidentiel d’introduire « la démocratie participative dans toutes les collectivités publiques (jurys citoyens, budgets participatifs, etc.). Des citoyens ayant recueilli un million de signatures pourront demander au Parlement l’examen d’une de loi. »

La démocratie participative n’est pas née avec internet. Elle permet, selon des procédures plus ou moins formalisées, au public de s'exprimer en aval et en amont des décisions : non pas en créant un référendum permanent, mais en associant mieux les citoyens et les associations à l'élaboration des politiques publiques et à l’évaluation de leurs résultats.

L’apport d’internet aux mécanismes de débat public réside dans la possibilité de recueillir un grand nombre d'avis, d’élargir le cercle des "parties intéressées", de donner une visibilité à l’ensemble des points de vue, notamment des points de vue originaux, de conserver et de rendre accessible à l’ensemble des participants la mémoire des débats, enfin, de rendre lisible son évolution.

Les processus de débat public ont un rôle à jouer à toutes les étapes : de l'identification des problèmes, des enjeux et des besoins jusqu'à l'évaluation de l'impact des politiques publiques.

Le développement numérique de ces processus est particulièrement utile pour permettre des échanges au niveau national et régional. Ces échanges prennent alors leur sens sur un fond de démocratie locale ancrée dans les territoires.

Si les institutions publiques prennent au sérieux la contribution d’internet aux débats publics, elles devront mettre en œuvre des moyens techniques et surtout humains pour que les consultations publiques soient effectives : un dispositif d'animation (faire le point des débats, dégager périodiquement une synthèse des contributions), une information claire, un périmètre délimité ; un engagement des élus à restituer aux participants les résultats de la consultation, à informer les participants sur le sort fait aux recommandations et à ne pas prendre de décision avant la conclusion de la consultation.

En amont de la décision publique

« Un débat public peut être organisé sur les objectifs et les caractéristiques principales des projets pendant la phase de leur élaboration ». La loi Barnier de 1995 a institué la Commission nationale du débat public (CNDP) pour garantir l’organisation de ces débats. Autorité administrative indépendante, la CNDP est dotée de moyens modestes (au regard des budgets de relations publiques dont disposent le groupes d’intérêt concernés par les “débats publics”).

Le périmètre d’intervention de la CNDP est limité aux projets d'infrastructure (au-delà de certains seuils) et aux débats sur les politiques d'aménagement. La CNDP a également une mission générale de réflexion et conseil sur le débat public, mais celle-ci ne semble pas suffisamment exploitée.

Les méthodologies de la CNDP sont centrées sur la mise en discussion de projets d’infrastructure. Ce n’est qu’assez récemment qu’elle a conduit des débats sur des orientations de politique publique .

Plutôt que de s’appuyer sur la CNDP, les gouvernements ont pris l’habitude de mettre en place des dispositifs ad hoc quand ils souhaitent ouvrir un débat public (Débat national sur l’avenir de l’école, Débat national sur l’avenir du spectacle vivant, par exemple). Une « Conférence de citoyens » sur les OGM avait été organisée par le Parlement en 1998. Cette expérience n’a pas été reconduite depuis, en dépit de l’intérêt qu’elle avait suscité.

La CNDP n’a pas intégré Internet dans ses procédures de débat, ni d’ailleurs dans ses moyens de mobilisation du public. Le Premier Ministre a créé, à côté de la CNDP, une plateforme interministérielle pour les débats en ligne : www.forum.gouv.fr/


Recommandation 60
Renforcer la Commission Nationale du Débat Public et l’adapter à ses nouvelles missions.
- Renforcer notamment la CNDP en personnels et moyens permanents, l'inviter à ouvrir sa méthodologie à un usage structuré d'internet (en particulier pour les débats de problématiques).
- S'assurer que lors de la conception des opérations de débat public national sur des politiques publiques, le débat structuré utilisant internet soit considéré dès la conception des actions tout comme les autres modalités et en association avec elles.
- Les acteurs publics pourraient plus systématiquement faire appel à l’expertise de la CNDP pour imaginer la procédure la plus adaptée au débat public envisagé.


La CNDP pourrait être le lieu où se capitalisent expérience, expertise, méthodes et outils sur l'ensemble des procédures. Elle devrait disposer d'un budget de R&D pour expérimenter, financer la mise au point d'outils. L'une des faiblesses essentielles des approches de la démocratie participative ou du débat public (numériques ou pas) porte sur son financement dès que l'on sort du cadre CNDP.

Recommandation 61
Mutualiser les outils et les bonnes pratiques de débat public.
- Doter la CNDP d’un budget de R&D
- Créer un correspondant débat public dans chaque ministère, et une commission interministérielle horizontale de mutualisation des bonnes pratiques
- Engager une réflexion sur les financements nécessaires à l'amplification des actions de démocratie participative et de débat public (notamment utilisant les outils numériques) lorsque les politiques concernées sortent du champ d'action directe de la CNDP

Dans la perspective de revaloriser le rôle du parlement, la logique voudrait que la Commission Nationale du Débat Public soit placée sous son autorité.


En aval de la décision publique

Aujourd’hui, plus aucune instance n’est spécifiquement chargée de l’évaluation des politiques publiques. La Cour des Comptes, les différents organismes de Conseil auprès du Premier Ministre (Centre d’Analyse Stratégique, Conseil d’Analyse Economique, etc.) procèdent à l’évaluation des politiques publiques en France. Le Parlement, de son côté, a mis en place une Mission d’expertise et de contrôle. La mise en œuvre de la LOLF prévoit que les programmes LOLF soient assortis d’indicateurs conçus pour mesurer les effets de l’action publique.

Les procédures d’évaluation des politiques publiques ne prévoient pas aujourd’hui l’implication des citoyens ou la présence de représentants de la société civile dans les instances en charge de l’évaluation.

Recommandation 62
Expérimenter l’implication de citoyens dans l’évaluation des politiques publiques.
- Expérimenter notamment plusieurs procédures (conférence de citoyens, panel de citoyens, sondage délibératif) autour de l’évaluation d’une décision publique. Y associer des représentants de la société civile.
- Évaluer la faisabilité d’un portail collaboratif de type Observatoire national de la décision publique.


5. Mettre les outils numériques au service de la démocratie européenne

L'adhésion renouvelée des citoyens au projet européen va dépendre de la création d'un espace public où se débattent son contenu et de la constitution de visions européennes qui ne soient pas confinées à un seul pays.

Depuis que le doute des citoyens européens sur le contenu du projet européen s'est manifesté, des initiatives ont commencé à s'atteler à cette immense tâche. La plupart d’entre elles attribuent un rôle important à Internet et aux échanges numériques.

Elles émanent du Parlement européen (programme e-participation dont la mise en œuvre a été confiée à la Commission mais sur budget du Parlement), des actions de la vice-présidente de la Commission européenne Margot Wallstrom dans le cadre du plan D comme Démocratie et des initiatives de différentes fondations . Elles s'ajoutent à des initiatives d'associations citoyennes qui commencent (enfin) à sortir du cadre des débats internes à chaque nation sur l'Europe. Dans ces débats se croisent visions critiques du contenu actuel de la construction européenne et visions positives de son avenir possibles. Tout cela donne l'impression d’une crise, mais peut constituer le laboratoire d'une renaissance, à condition que l'Europe vienne enfin au cœur du débat public.

Chacun des acteurs qui a agi au niveau européen a fait l'apprentissage difficile du besoin de savoir formuler différemment ses idées pour les rendre accessibles à une autre culture politique, à d'autres vocabulaires, du besoin de savoir reconnaître dans des idées apparemment étrangères un fond commun qui peut donner lieu à des politiques communes. Cet apprentissage qui n'a été fait que par une minorité doit à des degrés divers être rendu possible pour tous.

Les outils numériques ont un rôle essentiel pour le rendre possible, mais leur nature et leur usage doivent ici affronter de nouveaux défis : celui du débat multilingue et multiculturel, de la mise en rapport entre les politiques européennes et leurs effets concrets dans la vie de chacun.

Recommandation 63
Proposer au Conseil Européen une vision ambitieuse et exigeante de programmes comme e-participation (dont il est prévu que le financement soit dans l'avenir relayé par le Conseil et la Commission).

Recommandation 64
Agir sans attendre la relance de la réforme institutionnelle pour que les dispositions sur la publicité des travaux du Conseil prévues par le traité constitutionnel européen soient mises en œuvre de façon ambitieuse.

Recommandation 65
Organiser des débats associant le parlement, les régions, les porteurs d'enjeux et les citoyens en utilisant de façon appropriée les technologies numériques pour que les thèmes et les problèmes posés par des politiques européennes envisagées puissent être débattus en amont.

Recommandation 66
Informer le public, en utilisant de façon appropriée les technologies numériques, sur les positions prises par notre pays au Conseil, ainsi que sur les travaux du parlement européen afin de renforcer la légitimité de ce dernier face aux autres institutions.


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