5. Education : changer de logiciel

Les progrès numériques sont à la fois l’un des facteurs de déstabilisation du système éducatif et l’une des ressources pour sa possible réforme .


1. Un modèle au bout de sa logique

Le système éducatif, qui représente un effort de 20 % du budget de État, échoue trop souvent à atteindre tous ses objectifs et à garantir la qualité de l’éducation pour tous. Près de 20 % des Français ont des difficultés de lecture ou d’écriture. Le pourcentage d’enfants issus de milieux modestes dans les filières d’élite recule . Le recours aux services de proximité, après l’école, la croissance des dépenses de soutien scolaire privé (estimées à 2 milliards d’euros par an) : tous les indicateurs montrent que les Français commencent à rechercher des réponses individuelles en dehors du service public…

Les individus ne sont pas en cause, au contraire : ils tiennent le système à bout de bras. C’est la conception et l’organisation d’un système éducatif écartelé entre des injonctions contradictoires qui sont aujourd’hui à bout de souffle.



Une crise de massification

L’Education nationale a assumé, depuis la deuxième guerre mondiale, une croissance continue du nombre d’élèves scolarisés : 3 % des Français passaient le baccalauréat en 1945 ; ils étaient 35 % en 1985 et sont désormais près de 85 %. Il y a aujourd’hui plus d’enseignants à l’université que d’étudiants en 1950.

Cette massification, induit le risque d’une hétérogénéité croissante des élèves, et s’est paradoxalement accompagnée d’une uniformisation des pratiques : au collège, avec la réforme Haby et l’instauration, en 1975, du collège unique, c’est, chaque année, la totalité d’une classe d’âge (environ 750 000 élèves) qui reçoit le même enseignement : programme, méthodes, outils.

Des réponses inadaptées

Au XIXe siècle, les « études », dirigées par des personnels spécifiques, maîtres d’études, maîtres répétiteurs, professeurs adjoints, représentaient la majeure partie du travail des élèves dans les lycées d’État et surtout les collèges communaux. Au début du XXe siècle, quand la France a scolarisé les enfants des classes moyennes et populaires, elle a renvoyé ces tâches d’encadrement sur les familles : répétition des leçons, accompagnement des exercices et des devoirs, aide aux devoirs, etc.

Ainsi, l’école, en se démocratisant, s’est privée du principal instrument de réussite de cette démocratisation.

Le nouveau système éducatif a donc été conçu selon les principes d’organisation dominants de cette époque : division du travail entre enseignants (dans le secondaire), durée uniforme des cours, classe constante sur l’année cloisonnement entre l’école et le domicile... Les outils (manuel scolaire, tableau) et les méthodes (cours magistral, examen individuel écrit et oral) étaient alors adaptés à ces principes.

Ils ont tenu tant que le système rejetait les élèves « inadaptés » à cette manière d’enseigner. Avec la massification, l’hétérogénéité croissante des élèves a montré – durement – les limites de ce modèle..

Les moyens manquent donc aujourd’hui pour faire face à la nouvelle massification. Mais les moyens manqueront toujours si l’on se contente des solutions traditionnelles : un système organisé autour d'un modèle pédagogique unique – l'enseignement magistral – et d'un outil – le manuel scolaire papier – devenus obsolètes.

L’école concurrencée par les médias et le numérique

Ces difficultés surgissent à un moment où l’école est elle-même concurrencée. La société est désormais riche en informations, sollicitations et stimulations. L’enseignant n’a plus le monopole du savoir ni de la parole autorisée à destination des élèves. Les enfants, à travers la télévision, Internet ou le jeu vidéo sont stimulés, intéressés, sollicités et reçoivent une éducation informelle, orthogonale, et parfois même opposée à celle que délivrent les enseignants.

Sans la promesse d’emploi, concurrencée par des stimulations sans fin, des savoirs informels variés en évolution rapide et des valeurs contradictoires avec le travail solitaire et patient, l’école doit aujourd’hui s’adapter. Cet impératif est d’autant plus grand qu’elle doit préparer les enfants à agir et à s’orienter dans un nouveau monde.

2. La transformation du système éducatif

Les réformes, dans le modèle actuel, échouent car il est impossible de réformer sans avoir défini les objectifs, les méthodes, les organisations et les outils de l’enseignement de masse dans la société de l’information.

Cette transformation doit être concertée et progressive. Elle doit s’inscrire dans la durée – dix ans au moins – et mobiliser l’ensemble des acteurs : enseignants, État, collectivités locales, familles, chercheurs, producteurs de ressources et de logiciels éducatifs. Le Pacte Présidentiel prévoit l’organisation États Généraux des enseignants. Il est en effet essentiel de renouer le dialogue sur les objectifs, les moyens et les leviers de cette transformation.

Diversification des modèles, multiplications des approches. C’est cette évolution que nous devons susciter aujourd’hui.

Elle passe par :
• Une revalorisation du statut des enseignants
• L’adjonction, pour les tâches de travail personnel, de répétiteurs (cf. Pacte Présidentiel)
• L’ouverture à la coexistence de modèles pédagogiques ;
• L’utilisation des outils et ressources éducatives numériques, qui sont les leviers de ces nouvelles pratiques.


Les technologies éducatives comme levier

L’Éducation nationale tarde à tirer parti des technologies éducatives qui fournissent pourtant les moyens de véritables révolutions :
• L’accès à des savoirs nombreux, structurés, actualisés émanant du monde entier ;
• Des outils de création et de production de niveau "professionnel" mis à disposition de tous ;
• Des modalités de communication, de travail collaboratif, de publication de résultats et, de manière générale, de nouvelles formes de relations avec des acteurs variés ;
• Et enfin, des logiciels permettant de nouer de nouvelles formes de confrontation au savoir, pertinentes et élaborées.

Ces technologies permettent ainsi d’imaginer un élève actif et engagé dans une construction personnelle de son savoir, relié avec d’autres acteurs (autres apprenants, adultes divers), recevant une information variée dans ses formes (texte, image, son et vidéo) et dans sa nature (documents, modélisations, logiciels élaborés…)

Elles pourraient permettre à des jeunes en échec scolaire, à des surdoués ou encore à des adultes non qualifiés d’accéder à des savoirs complexes : travailler les mathématiques en réalisant les exercices dont on a le plus besoin, explorer les phénomènes physiques en jouant avec des modélisations, apprendre les langues dans des laboratoires de langue, écrire pour être lu.

Elles étendent presque à l’infini l’accès aux ressources de la connaissance et modifient les compétences nécessaires : le "par cœur" est moins utile que la capacité à chercher et exploiter l’information nécessaire pour résoudre un problème, ou encore la capacité de créer, de s’exprimer...

Elles peuvent même faire évoluer les modalités de relation dans l’école, le travail collaboratif, l’échange d’hypothèses et d’expériences pouvant compléter le tout compétitif.

Le rôle de l’enseignant aussi peut évoluer : détenteur du savoir et distributeur des notes et sanctions, il peut progressivement devenir le guide dans le champ du savoir et l’adulte qui aide à problématiser, surmonter les obstacles ou construire son apprentissage.

Recommandation 38
Organiser des États généraux des enseignants ayant parmi les thèmes de débats l’introduction du numérique à l’école.

Recommandation 39
Développer la diffusion des nouveaux outils numériques auprès des enseignants.



Des technologies inutiles sans projet global

Mais l’utilisation de ces technologies ne nécessite pas simplement des ordinateurs communicants, des ressources et des logiciels : elle appelle avant tout un projet collectif, impliquant la communauté éducative. Sans projet éducatif, les politiques d’équipement quantitatif tournent court

Grâce aux investissements importants des collectivités, le taux d'équipement des écoles a été multiplié par 7 de 1997 à 2003 (1 ordinateur pour 15 élèves en 2004), et a doublé pour les collèges et lycées (1 ordinateur pour 9 collégiens et 1 pour 4 lycéens en 2004). Cet effort, qu’il faut saluer, ne permet pas pour autant de soutenir les comparaisons internationales. Avec moins de 50 % des ordinateurs des établissements secondaires branchés à Internet, la France affiche l’un des taux de branchement les plus bas de l’OCDE, bien loin des 90% observés en Suède, en Corée, en Norvège, au Danemark ou en Finlande.

Cependant, ces équipements ne règlent rien à eux seuls. Ils ont même trop souvent dérivé vers des politiques stériles : stratégies du tape à l'œil, de l'innovation pour l'innovation, démobilisation des enseignants, mise à l'écart des syndicats et associations professionnelles de la réflexion sur les usages. Résultat : des ordinateurs dans les écoles, mais peu de pratiques réellement innovantes (en tout cas à grande échelle), et les incohérences du système qui continuent à produire leurs effets.

Par ailleurs, trop souvent, les initiatives de État et des collectivités territoriales sont, au mieux désynchronisées, au pire antagoniques comme on a pu souvent le voir là où les initiatives les plus audacieuses étaient déployées (Landes, Bouches-du-Rhône, Ille et Vilaine…).

Pour libérer la créativité et autoriser la juxtaposition des stratégies des enseignants, il faut encourager et récompenser l'initiative pédagogique, soutenir la recherche sur les pratiques et les usages, encourager les expériences favorisant la diversité des parcours et diffuser une culture de l'évaluation de ces efforts.

Recommandation 40
Encourager l'usage des technologies numériques (à efficacité évaluée) par des progressions de carrière.

- Susciter, avec des collectivités locales, en profitant de l’ouverture de nouveaux établissements, l’installation d’établissements d’avant garde, à forte densité technologique, avec des enseignants volontaires formés, accompagnés et équipés, et un matériel de pointe accessible à tous les élèves, ainsi qu’un projet pédagogique d’innovation radicale.

Recommandation 41
Créer un comité formel État rectorat- collectivités et associant les parents d’élèves et les enseignants autour de l’utilisation des nouvelles technologies à l’école.

Malgré d’indéniables progrès, la question des équipements et des infrastructures n’est pas encore réglée. De multiples mesures s’imposent pour passer à l’étape suivante.

Recommandation 42
Garantir les infrastructures matérielles et logicielles adaptées :
- Confier clairement aux collectivités la mission de maintenance informatique... et les transferts budgétaires appropriés (ce qui n'a pas été le cas avec la Loi de décentralisation Raffarin).
- Consentir des décharges horaires pour les enseignants qui s’impliquent dans la coordination des projets TIC dans les établissements et dans la création de ressources numériques.
- Généraliser les espaces numériques de travail (ENT) dans les établissements
- Mettre à la disposition de chaque Français un "portfolio" en ligne, qui regroupe l'ensemble des diplômes, mais aussi des autres preuves de compétences, réalisations professionnelles ou associatives , etc.

Afin d’aider à l’acquisition par les professionnels de l’éducation des nouveaux outils, il convient d’engager un vaste plan de formation.

Recommandation 43
- Intégrer la maîtrise des outils numériques, leur conception et leur utilisation pédagogique dans les concours de recrutement. Lier étroitement cette maîtrise aux compétences disciplinaires et pédagogiques.
- Engager un vaste plan de formation continue alliant compréhension des outils numériques, réflexion sur les pédagogies innovantes et formation continue à là où aux discipline(s) enseignée(s) de plusieurs mois pour chaque enseignant.

A partir de l’année 2000, l’Education nationale propose aux élèves de collège et de lycée de recevoir une attestation appelée « Brevet informatique et Internet ». Il est proposé de rapprocher ce « brevet » du « Passeport de compétences informatique européen », puis de le transformer en véritable diplôme.

Les biens communs produits grâce à l'internet et au numérique (logiciels libres, ressources éducatives partagées) enrichissent l’action du système éducatif tout autant qu’ils en dépendent. Plusieurs mesures pourraient dynamiser cette création :

- Un grand nombre d'enseignants s’impliquent dans la création de ressources pédagogiques en ligne. Leurs efforts ne sont pas reconnus par l'institution. Le Ministère pourrait encourager la mise en place de plates-formes pour la création et le partage de ressources numériques. Ces “Wikipedia éducatifs” seraient placés sous la responsabilité d'enseignants.

- Ces Wikipedias éducatifs ne concernent pas que les enseignants. La production d'un travail de rédaction et de recherche sur un sujet donné est un des types de situations d'apprentissage les plus utilisés : un moyen d'augmenter l'implication des élèves.

Cette approche fondée sur la coopération n’exclut pas une démarche offensive en matière de création de contenus éducatifs professionnels.

- Les budgets d’acquisition de ressources et de logiciels d’éducation, stagnent à 15 millions d’euros environ alors que le Royaume Uni dépense chaque année 200 millions d’euros pour les ressources numériques. Les budgets des ressources numériques doivent se rapprocher, progressivement, des budgets des ressources papier.

- Au delà de la politique d’achat, la production de ressources pédagogiques a besoin d’une complète remise à plat : les juxtapositions permanentes de systèmes d’évaluation souvent contradictoires, la faiblesse relative des aides à la recherche-développement (à peine compensée depuis peu par la politique de pôles de compétitivité), les jeux complexes et conflits avec les organismes publics de production de ressources pédagogiques (CNED – CNDP – INRP), les multiples étapes administratives empêchant la diffusion des innovations dans les établissements scolaires eux-mêmes dessinent pour les éditeurs d’éducation numérique, un écosystème globalement stérile.

Recommandation 44
- Accroître significativement les budgets d’acquisition de ressources et de logiciels d’éducation ;
- Favoriser la coordination des organismes de production de ressources pédagogiques afin de développer la diffusion des contenus éducatifs.

Le Pacte Présidentiel prévoit d’inscrire l’éducation artistique et la pratique artistique à tous les niveaux de la maternelle à l’université.

L’éducation artistique s’appuiera de plus en plus sur les technologies numériques. L’éducation du regard (peinture, photographie, cinéma), la lecture critique des medias et de l’Internet, l’enseignement des techniques de traitement des images et du montage, la maîtrise des outils numériques et des technologies intellectuelles qui associées se confortent mutuellement.

Il faudra rendre effective l’exception pédagogique au droit exclusif de l’auteur (dont le principe a été retenu dans la DADVSI), qui reste conditionnée à de trop nombreuses contraintes, pour les ressources dont la destination principale n’est pas le système éducatif.

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